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samedi, 20 novembre 2010

Sylvain, "pousse" à Toamasina (Tamatave - Madagascar)

Pour le premier article de cette série de portraits, j'ai envie de vous parler de Sylvain, rencontré au cours de notre voyage à Madagascar en septembre dernier et dont le sourire et la douceur sont restés gravés dans mon coeur...

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MadagascarSituation.jpgMadagascar, la "Grande Ile" de l'océan Indien, aussi appelée l'île rouge, à cause de la latérite dont on dit aussi qu'elle colle aux pieds de celui qui a foulé le sol de l'île, au point qu'il y reviendra toujours...je ne suis pas loin de le croire !

Madagascar, une fois 1/2 la France, une terre riche où "tout pousse", des ressources minières, une grande diversité géographique, culturelle....et aussi : l'un des pays les plus pauvres du monde.

P1000284.JPGTamarave, située sur la côte Est de l'île, en est le premier port commercial. Arrosée presque en permanence par des pluies diluviennes, elle offre au visiteur l'image d'une ville dévastée par une guerre ou un incendie: batiments vestiges de l'époque coloniale dans lesquels les arbres poussent, routes défoncées que se partagent les sccoters, 2CV taxi, quelques véhicules hors d'âge, des 4X4 flambant neufs et surtout pousse-pousse ou plus exactement vélo-pousse en très grand nombre.

P1000291.JPGSylvain a 42 ans, il est père de 5 enfants.

Il n'est pas proriétaire de son "pousse" et se rend chaque matin au dépôt pour en louer un. La location coûte 5000 ar (soit environ 2€) /jour. Il travaille du matin au soir et ramène le pousse chaque soir. Il nous explique qu'aucun "pousse" ne travaille après la tombée du jour ici parce que la ville est dangereuse la nuit, aux mains de bandes mafieuses. Précisons que le soleil se lève très tôt sous les tropiques, mais que par contre, il fait nuit à 18h. L'entretien est à la charge du propriétaire, sauf les pneus...et les crevaisons sont fréquentes en raison de l'état des routes.

Acheter un "pousse" neuf lui coûterait 100€ ou 50€ d'occasion. Oui, vous lisez bien...et si, comme moi vous avez fait le calcul, vous découvrez que tous les 25 jours il a "payé" son "pousse d'occasion...sauf qu'il n'a pas les 50€ et qu'il lui est impossible d'épargner. Lorsque je lui parle du micro-crédit, qui paraît une réponse adaptée (j'ai vu des enseignes en ville, ici, c'est Microcred ), il m'explique ne pas y avoir accès puisqu'il n'a pas de caution...pour bénéficier du micro-crédit, il faut posséder quelque chose, une maison, une voiture ou même un scooter...mais lui ne possède rien !

Dans le cadre du Programme des Nations Unies pour le Développement, des actions de lutte contre la pauvreté sont financées afin de permettre aux tireurs de pouse-pousse de devenir propriétaires de leur outil de travail...cela existe, en particulier à Antsirabe (cliquez pour lire l'article), mais rien de tel pour l'instant à Tamatave...

P1000265.JPGIl vit avec sa femme et ses 5 enfants dans une maison en paille d'une seule pièce, sans eau ni électricité pour laquelle il paie un loyer mensuel de 30 000 ar (environ 12€). Ses 5 enfants sont scolarisés. L'école n'est pas gratuite à Madagascar et les frais de scolarité s'élèvent à 30 000 ar (12€) par année scolaire et par enfant, sans les repas. Les enfants vont à l'école le matin et l'après midi.

Le prix d'une course moyenne en ville est de 1000 à 2000 ar (0,40 à 0,80€). Sylvain a passé la journée avec nous, de 11h à 16h. Pour un tour en ville, une visite au marché et retour à l'hôtel un peu excentré, le prix négocié était de 15000 ar (6€)...nous avons finalement payé 25000 ar (10€). Je pense que c'était une très bonne journée pour Sylvain. En effet, les clients sont rares et la concurrence est rude. Dès que l'on met un pied dans la ville, on est immédiatement assaillis par une horde de pousse-pousse prêts à se battre pour remporter le client. A Tamatave, les pousse-pousse seraient près de 4000 en ville. Ce nombre ne cesse d'augmenter et la clientèle n'est pas extensible...d'autant que le tourisme est très ralenti en raison de l'instabilité politique du pays. Sylvain nous explique que ces dernières années, il lui est devenu très difficile de gagner sa vie.

P1000287.JPGSylvain nous explique que beaucoup de jeunes, faute de trouver un emploi, se tournent vers ce métier. En effet, nous dit-il, dans les entreprises malgaches, on embauche sa famille, la famille de sa famille...et si l'on n'a pas de famille, il faut payer pour obtenir un emploi : par exemple, pour décrocher un poste de gardien en ville, il faut débourser la somme de 500 000 à 1 million d'ar. (soit environ 200 à 400€, sachant que le salaire minimum avoisine les 30€ par mois...c'est un an de salaire qu'il faut débourser pour avoir la chance de travailler !)

Souvenirs de Tamatave : quelques polaroids en vrac :

Quelques commentaires et reflexions à propos de cette rencontre :

Embarquer dans un pousse-pousse, ventre plein, appareil photos en bandoulière, lunettes de soleil et portefeuille bien rempli et laisser pédaler à moins d'un mètre devant nous, un autre être humain, réduit à l'état de bête de somme...c'est difficile à imaginer si l'on n'est jamais allé dans le tiers monde. Cela pose question, cela perturbe notre bonne conscience, biensûr...et les Droits de l'Homme dans tout ça ????

Nous parlons de cela avec Sylvain qui nous raconte dans un grand éclat de rire, tout son étonnement face à la réaction d'un touriste africain qui a un jour refusé de monter dans son pousse-pousse sous le prétexte qu'il ne voulait pas se comporter en néo-colonialiste et refusait de faire pédaler un homme qui avait la même couleur de peau que lui...Sylvain répond à cela qui lui n'a pas d'autre moyen de faire vivre sa famille que ce travail...aller à pieds, c'est le priver de ressources...On pourrait, me direz-vous, lui payer le prix de la course et aller à pieds...mais Sylvain ne demande pas l'aumône, il ne mendie pas...il se procure des revenus en travaillant honnêtement...N'est-il pas préférable de le laisser rendre ce service, de le payer plus largement si on le souhaite, et de le traiter humainement, lui parler de sa vie, s'intéresser à son quotidien, échanger le temps d'une course afin que la pauvreté ne soit pas, en plus, un obstacle à la communication....

Ensuite, on peut s'interroger, plus largement, la manière dont on peut s'engager, chacun à son niveau, dans la lutte contre la pauvreté...sur ce qui sera utile, durable...C'est une question complexe que d'aider sans assister...le bon coeur ne suffit pas...et un certain nombre de "bonnes actions" font plus de mal que de bien...Aller en "touriste" à Madagascar, c'est déjà favoriser une activité économique qui emploie du personnel, se comporter avec respect et solidarité...et Sylvain qui aura fait une bonne journée ce jour là serait sûrement de cet avis.

Pour ma part, j'ai souhaité aussi témoigner, et rendre hômage par cet article qu'il ne lira jamais, à un homme qui trime pour faire vivre sa famille, pauvre entre les pauvres, mais dont les enfants sont tous scolarisés...parce qu'il a bien compris que l'éducation, c'est l'espoir d'une vie meilleure pour les générations futures...lui-même n'est jamais allé à l'école. Belle leçon de vie que cette rencontre, la dignité et le sourire de cet homme...sa lucidité aussi, lorsqu'on lui demande, à propos de l'instabilité politique, si des élections démocratiques pourraient changer les choses: il éclate d'un rire édenté "Non, ça changera rien, les riches seront toujours riches, et moi je serai toujours pauvre !".

De quoi nous faire réflechir avant de nous engager dans l'action : prendre le temps, parler avec les gens, analyser les besoins les plus urgents, tenter avant tout de comprendre un peu les rouages de cette société où à peu près tout est différent de la nôtre...et penser une action pertinente...