Impossible de passer 3 mois à la Réunion sans évoquer la question des requins…inutile de tenter de vous le cacher, les médias se chargent de relayer et d’amplifier les infos jusqu’en métropole…il s’agit d’une crise importante. Elle est intéressante à plus d’un titre…parce que l’évoquer, c’est évoquer des questions humaines, économiques et environnementales…un véritable enjeu du Développement Durable de l’île…!
En préambule, autant vous rassurer tout de suite concernant nos petites personnes : nous avons choisi depuis le début de NE PAS nous baigner en pleine mer…nous avons renoncé aux vagues de l’océan et nous « contentons » des lagons magnifiques dans lesquels il n’y a aucun danger (la barrière de corail protège également des squales), où l’eau est calme et limpide et où avec palmes-masque-tuba, on peut admirer des poissons multicolores…
Nous avons fait quelques plongées, nous direz-vous…oui mais il faut savoir que les plongeurs (bouteilles) sont, pour les requins, des sortes de monstres (plus de 2m de long avec les palmes) qui font beaucoup de bruit et de bulles…assez en tout cas pour qu’aucun requin (animal de nature craintive) ne se risque à les approcher…et encore moins à les voir comme des proies potentielles…nous avons rencontré ici des professionnels qui plongent tous les jours depuis 2 ans sans avoir jamais entrevu le bout de la nageoire du moindre requin…
La situation actuelle :
Voilà le drapeau qui flotte (souvent) sur les plages de l’ouest de l’île depuis octobre 2011…peu engageant…et pour cause !
Rouge, il signifie requin aperçu ou signalé et Orange, il signale des conditions propices à la présence de requins…Dans un cas comme dans l’autre, la baignade et les activités nautiques sont interdites sur la zone.
Que se passe-t-il à la Réunion ? Psychose ou réel danger ?
Parce qu’enfin des requins, dans l’Océan Indien, il y en a toujours eu…Certes, dans l’imaginaire collectif, il est, comme le loup, un animal sanguinaire et mangeur d’hommes…mais enfin : ces 20 dernières années, on recensait une attaque par an, en moyenne à la Réunion… pas toutes mortelles, fort heureusement. Elles avaient surtout concerné des personnes qui n’avaient pas respecté les règles de sécurité (éviter de se baigner à la tombée du jour, lorsque l’eau est trouble après de fortes pluies par exemple, etc.). Ces attaques permettaient à chacun de se souvenir que la mer n’est pas le milieu naturel de l’homme, que s’y introduire implique une part de risque et que toute incursion dans un environnement étranger demande un minimum de prudence…
Seulement voilà : en 2011, 6 attaques ont eu lieu en quelques mois, à quelques mètres du rivage seulement…
Retrouvez toutes les infos sur le site de l’Association Prévention Requin Réunion
Nous y voilà : ici, comme ailleurs, les activités humaines ont modifié l’écosystème…et aujourd’hui, les activités humaines sont à leur tour perturbées par des phénomènes jusque là inconnus…!
Les conséquences :
- Sur le plan humain : La plus grande partie des 207 km de côtes est escarpée et difficile d’accès. L’île ne compte qu’une 40aine de km de plages (25km de plage de sable blanc et 14 km de plage de sable noir). Les plus belles plages sont situées au sud ouest et à l’ouest de l’île, là où se sont concentrées les dernières attaques. C’est la côte sous le vent et c’est là aussi où se trouvent les principaux spots de surf. L’interdiction de la baignade et de la pratique des activités nautiques frappe donc de plein fouet les familles, les sportifs ainsi que les touristes.
- Sur le plan environnemental : La barrière corallienne s’étend sur une 20aine de km le long de la côte ouest. Elle protège un lagon qui est un écosystème fragile. Ici, comme ailleurs, le récif corallien est en danger : pollution humaine, circulation à pieds, certaines activités de pêche et pratique d’activité à moteur le menacent gravement. Le report de la baignade dans les lagons va inévitablement accélérer le processus de destruction des récifs coralliens, la crème solaire étant un ennemi mortel pour le corail. (Cliquez ici pour en savoir plus sur les effets des crèmes solaires sur les coraux : un étude a montré que des coraux plongés dans une eau dans laquelle on a dilué de l’écran solaire meurent en 4 jours…!!!)
- Sur le plan économique : la Réunion est une île, comme chacun sait, et elle est loin de produire tout ce qui est nécessaire à la vie de ses habitants dont le nombre ne cesse d’augmenter…elle importe presque tout. Côté exportations, on se doute bien que ça n’est pas le commerce de l’obsolète cane à sucre qui fait vivre les populations… Bénéficiant d’un climat et d’un environnement propice au tourisme, l’île a su y développer une industrie touristique jusque là florissante…
Les solutions :
Au delà des mesures d’urgence qui ont été prises immédiatement : dispositif d’alerte et d’information visant à sécuriser les zones de baignade par une information du public en temps réel et l’interdiction d’accès lorsque le risque est avéré, il s’agit, ici, de se lancer dans une réflexion de fond : analyser les causes et étudier finement la situation actuelle afin d’envisager, ici comme ailleurs, un développement durable: le programme CHARC
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de choisir entre le requin et l’homme ( il serait aberrant de vouloir éradiquer tout ce qui peut constituer une menace pour l’amusement des humains !), mais bien de comprendre comment les activités humaines ont modifié l’écosystème et créé la situation que nous connaissons actuellement, et envisager des solutions durables pour permettre un développement qui respecte l’environnement…
La dernière étude, réalisée par L’IFREMER sur les requins, date de 1987 : vous la trouverez publiée ici. Elle passe en revue les différentes solutions avec leurs avantages et leur inconvénients. (une étude plus récente aurait été réalisée en 1997 mais elle n’est pas rendue publique)
Depuis l’automne 2011, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) a entamé une campagne de marquage de requins, dans le cadre du programme CHARC (Connaissances de l’écologie et de l’HAbitat de deux espèces de Requins Côtiers sur la côte Ouest de la Réunion). Elle devrait enrichir considérablement les connaissances et contribuer à une meilleure gestion du risque. (cliquez ici pour connaître les détails de l’étude).
De source officieuse, nous avons eu connaissance des premiers résultats : sur les 12 requins marqués, seuls 6 émetteurs étaient toujours actifs(les autres ayant été perdues ou les requins étant morts). Des balises ont été placées près des côtes et au large. Pour le seul mois de Janvier, les balises côtières auraient enregistré 150 passages et 400 passages pour les balises situées au large pour 6 requins seulement ! Cela veut dire que chacun d’entre aux est passé une fois par jour près des côtes, à proximité de la balise…Même si l’on ne connaît pas le nombre exact d’individus présents dans la zone (assurément beaucoup plus que 6!!!)…ça fait froid dans le dos : il semble qu’ils soient réellement sédentarisés et, avec l’abondance de nourriture et l’absence de prédateur…il est probable qu’ils prolifèrent…!
D’ici à fin 2013, le marquage d’une quarantaine d’animaux et leur suivi permettra de savoir quel est leur comportement dans les eaux réunionnaises, et d’en déduire s’ils abordent les rivages touristiques avec une réelle pulsion alimentaire.Ces données nouvelles seront complétées par une vaste synthèse de la bibliographie sur le sujet.
L’ensemble de ce travail devrait permettre de savoir si la petite île est française est une frontière à haut risque transgressée :
- soit par des prédateurs affamés qui y font incursion,
- soit par des hommes qui provoquent des comportements inhabituels de la part des requins.